Histoire de Ressins (7) : biographie d'E. Gautier (suite)

Publié le par Ressins 2010

IV. La guerre de 1870 : Etienne Gautier s'engage.

         Etienne Gautier était plus que jamais absorbé par le travail quand éclata la guerre de 1870 opposant le Second Empire français et les royaumes allemands unis derrière le royaume de Prusse (la défaite de la France entraîna la chute de l'Empire et la perte d'une partie de l'Alsace-Lorraine).
     Dès les premières défaites, Etienne quitte les pinceaux et s'engage en même temps que son beau-frère -le Comte de Rambuteau- et ses cousins, MM. Dugos de la Boissonney. L'un d'eux venait d'être ordonné prêtre. Il fit ses premières armes comme aumônier dans le bataillon d'Etienne.
     Nous ne saurions mieux mettre en évidence l'intrépidité d'E. Gautier qu'en rapportant le récit d'un de ses compagnons d'armes à la bataille de Beaune-la-Rolande :
     "Le jour brumeux commence à poindre, les premiers grondements du canon se font entendre, auxquels se joindront bientôt les crépitations de la fusillade. Il est à peine 7 heures, et déjà le capitaine Gautier nous crie, le visage souriant : "En avant ! en avant ! "
     De son pas cadencé, vif et allègre, il nous entraîne comme à la parade.
     Sur la route, un jeune Bavarois est étendu au milieu des cadavres, mourant lui-même. A ses plaintes déchirantes se mêlent quelques paroles inarticulées que seul Etienne Gautier semble comprendre. Il s'approche de lui, et, sous le sifflement des balles, il soulève la tête du moribond et lui présente sa gourde. Cependant les obus des pièces prussiennes dissimulées derrière les murs sillonnent le terrain. Le grincement et la grêle de la mitraille nous obligent à nous coucher pour répondre à ces feux meurtriers. Mais Etienne Gautier est bientôt debout ; impassible, il lève son sabre et nous crie de nouveau : "En avant ! en avant ! "
     Il devient le point de mire et comme la cible de l'ennemi ; les obus tombaient autour de lui, la terre volait à ses côtés, il souriait en disant : "Quels maladroits ! " A midi, les prussiens sont délogés de Beaune-la-Rolande et nos compagnies y entrent en chantant. Hélas !  ce succès, gagné au prix de tant de sang versé, ne dura qu'un instant. Vers le soir, les hauteurs voisines se couronnent de casques à pointes, ce sont des renforts auxquels on ne peut résister. Il faut rallier les soldats dans cette plaine de mort et abandonner la place. Pendant le combat, M. Gautier était le premier de tous, faisant face à l'ennemi et entraînant ses mobiles ;  durant la retraite, il est au dernier rang, toujours le plus près du danger."
     Ses traits de courage sont demeurés légendaires dans le pays. En pleine retraite, il s'aperçoit que son épée est restée sous les murs de la ville ; aussitôt après avoir mis ses hommes à l'abri, il retourne sur le champ de bataille. Il était seul dans la plaine, visé par des milliers de fusils comme un gibier qu'on ne peut manquer d'abattre ;  cependant, il avance toujours, ramasse son épée sous les balles de l'ennemi, et du même pas lent et mesuré il va rejoindre ses hommes. Comme sa soeur lui demandait la raison de ces actes de vaillance presque inutiles, il lui laissa voir le fond de ses sentiments si élevés et si chrétiens : "Je tiens à donner des preuves de valeur incontestables afin de n'être jamais taxé de lâcheté si je refusais un jour de répondre à une provocation."
     Nommé capitaine après le combat de Beaune-la-Rolande, Etienne Gautier est envoyé dans l'Est, à Hericourt, et s'y distingue par la même bravoure.
     "Nous ne campons plus dans les champs, écrit E. Gautier le 31 déc. 1870 à ses parents, et le soir nous logeons les hommes dans les granges, mais c'est un peu tard, nos pauvres moblots (ndlr : soldats de la gard nationale mobile) sont éreintés, leurs vêtement sont en loques et plusieurs marchent pieds nus dans la neige. Si vous les voyiez, vous en auriez pitié, et, à ce propos, j'ai bien envie de vous demander de me faire un beau cadeau pour mes étrennes. Nos hommes manquent absolument de souliers, ceux qu'on leur donne sont trop petits pour leurs gros pieds de paysans, et, depuis 4 mois qu'on nous a réunis, il y en a plus de 30 dans ma compagnie qui n'ont jamais reçu de chaussures. Une oeuvre de charité bien placée serait de faire ouvrir à Charlieu une liste de souscriptions pour nous envoyer de grands souliers. Si l'on savait combien nous en avons besoin, je suis sûr qu'on aurait vite souscrit et pour de fortes sommes. Cela rendrait le courage à ces pauvres enfants, et moi, je n'aurais pas chaque jour la corvée de forcer à marcher de pauvres diables dont les pieds saignent dans la neige ; triste corvée, je vous assure. J'ai pensé que si mon bon père voulait ouvrir la souscription en offrant une vingtaine de paires, tout le monde l'imiterait, et dans quelques jours nous aurions ce qui nous manque. On bénirait son nom, et ma tâche serait singulièrement simplifiée."
     Etienne Gautier était fort estimé de ses chefs, et voici une lettre du colonel Pagetier au père d'Etienne, datée du 10 oct. 1870 : "J'ai la plus grande satisfaction à vous annoncer que, malgré les fatigues sérieuses de cette campagne, la santé de votre fils est jusqu'ici excellente. La bonne humeur ne le quitte pas. Le lieutenant Gautier a une riche nature, un généreux caractère, et me donne pleine satisfaction. Il serait à désirer que tous nos officiers lui ressemblassent. Inutile de vous dire, Monsieur, que si votre fils était souffrant je le ferais évacuer sur un hôpital, je me hâte de vous en assurer."
     Cette "bonne humeur" d'Etienne dont parle le colonel Pagetier, résistait, en effet, à toutes les épreuves ; sa gaieté ne se démentait pas un instant, et sa compagnie, soutenue par son exemple, était "la compagnie où l'on chantait toujours". Le soldat l'aimait car il sentait en lui un ami, un frère, dont la sympathie et la bonté savaient deviner ses souffrances. D'instinct, il devinait toujours les besoins d'autrui. Il provoquait les confidences sans en avoir l'air, réconfortait discrètement, en ami, et glissait quelque chose dans le gousset. Un de ses caporaux disait : "Depuis la guerre, toutes les fois que je le voyais, il me demandait des nouvelles des camarades de la cinquième :
     - Un tel ? Toujours pas à son aise ?
     - Toujours.
     - Tu lui donneras ça...
     Combien j'en ai donné de sa part ! "
                                                                                                                           A suivre.

Publié dans Un peu d'Histoire...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article